Ouvrir des tiers-lieux en milieu rural, chiche ! Quelques hypothèses de facteurs clés de succès

Dans son article daté du 18 avril, la Gazette des Communes démontrait la place grandissante qu’occupent les tiers-lieux en milieu rural.  La journaliste (Gaëlle Ginibrière, spécialisée sur les questions RH, management, statut de la fonction publique et finances locales) évoquait aussi, à travers un certain nombre d’exemples et de témoignages, la difficulté d’équilibrer ces modèles nécessairement hybrides, ainsi que les opportunités et les risques inhérents au partenariat avec les collectivités territoriales.

Au-delà des constats et des analyses de l’auteur, que nous partageons, il se trouve qu’Ocalia a accompagné, à des stades différents, chacun des 5 tiers-lieux présentés dans le cadre de cet article. L’analyse qui suit propose à la fois un éclairage complémentaire sur ces projets ainsi qu’un certain nombre d’hypothèses quant aux facteurs clés de succès de ces initiatives.

 

L’@telier du Pilat, porté par la Communauté de Communes du Pilat rhôdanien (CCPR) dans le cadre de sa maison des services est né à l’issue d’une étude d’opportunité conduite par Ocalia sur le territoire du Parc naturel régional du Pilat en 2011. Ce territoire à la fois rural et périurbain (la commune de Pélussin se trouve à 45 minutes des agglomérations lyonnaise et stéphanoise) est alors jugé propice à l’installation d’un lieu de travail partagé. La CCPR intègre un espace de coworking au sein de sa future maison des services qui se compose de 4 espaces dédiés à la petite enfance, au social, à la santé, à l’emploi et aux entreprises. La maison des services est inaugurée en 2014.

C’est la frugalité du modèle qui caractérise sans doute le mieux l’@telier. Seulement une vingtaine de mètre carrés, quelques places de travail, un accueil, une animation et des infrastructures (communs et salles de réunions connectées) mutualisées avec la maison de l’emploi et de la formation, l’@telier coûte à peine plus de 10 000 Euros par an à la Communauté de Communes. Pour autant le modèle ne semble pas s’équilibrer. Peut-être faute d’un espace plus grand ? En effet l’espace de coworking ne peut accueillir plus de 4 ou 5 utilisateurs en même temps. Or, au-delà du lieu de travail, de la connexion et des équipements, c’est aussi et surtout la présence d’autres coworkers qui motive les utilisateurs à venir travailler au sein d’un tel espace.

Hypothèse :

Une offre trop modeste reste peu attractive car elle ne permet pas d’engendrer un volume d’activité et d’interactions entre utilisateurs suffisant. Une dizaine de places de travail, soit au moins 70 m2 nous parait un minimum pour garantir l’émulation nécessaire à la naissance et au développement d’une communauté significative. En dessous de ce seuil, la création d’une dynamique reste compliquée, ou alors elle s’appuie sur des membres permanents dans une logique de bureaux partagés plus que de lieux ouverts et collaboratifs.

 

La Communauté de Communes du Pays de l’Arbresle est actuellement en train de chercher un nom pour l’espace de coworking qui ouvrira ses portes d’ici quelques mois au centre de la Commune de l’Arbresle (une vingtaine de minutes des portes de Lyon). En stand-by depuis 3 ans faute d’opérateur, l’espace sera finalement géré directement par l’EPCI qui a recruté une animatrice au profil entrepreneurial pour piloter le projet (avec l’appui des cabinets Terre d’avance et Ocalia) et assurer l’animation et le développement du lieu une fois lancé.  Ce qui est frappant, c’est l’écart que nous observons aujourd’hui entre l’hypothèse initiale d’un lieu dédié aux salariés pendulaires (leur permettant d’éviter chaque semaine quelques trajets vers Lyon) et le profil des cinquante futur-utilisateurs fédérés autour de la démarche à travers plusieurs ateliers de co-design, très majoritairement des indépendants et des créateurs d’activité.

Hypothèse :

S’il est incontestable que le télétravail se développe enfin, le recours des entreprises au tiers-lieu reste marginal. Contrairement aux centres-villes, les zones péri-urbaines restent insuffisamment équipées en lieux de travail partagés. Trop peu dense et surtout non maillée, l’offre est jugée non crédible par les employeurs. La structuration, à l’échelle métropolitaine, d’un réseau maillé de tiers-lieux permettant aux salariés d’éviter les bouchons aurait pourtant de multiples avantages, entre autres une limitation des déplacements pendulaires, des émissions de gaz à effet de serre et des encombrement aux abord des agglomérations, une rationalisation des coûts immobiliers pour les entreprises (le prix du mètre carré en périphérie est bien inférieur à celui du centre-ville) et un gain pour le salarié (temps, argent, fatigue, qualité de vie, …)

 

 

La Cocotte numérique correspond à une nouvelle itération d’un projet lancé par la Communauté de Communes du Pays de Murat en 2008 avec le concours de la Région Auvergne et du Département du Cantal.  A Murat, c’est tout un écosystème qui s’est structuré pour accueillir de nouveaux habitants dans un territoire enclavé et en situation de déprise. A côté de l’espace de coworking, le territoire à mis en place un parcours qui facilite l’installation des porteurs de projets (formation à la création, résidence, hébergement, parrainage, …). Depuis quelques mois, la Cocotte embarque même un atelier de fabrication numérique.  Missionnés en 2013 par l’agence de développement économique de la Région Auvergne (ARDTA), Les Cabinets OPC, Terre d’avance et Ocalia ont évalué l’impact de ce dispositif d’accueil. Le bilan était très positif : 25 entrepreneurs installés (52 nouveaux habitants), plus de soixante emplois créés (31 emplois directs et 18 emplois indirects) et plus de 3 millions d’Euros injectés dans l’économie locale (pour moins d’un million investi par la collectivité). Ces externalités justifient la forte implication financière de la Communauté de Communes dans le fonctionnement de la Cocotte numérique dont il est clair que les ressources générées au titre de la vente de ses services (formation, hébergement, coworking, prototypage, innovation) sont loin de couvrir les dépenses de fonctionnement du dispositif.

Hypothèse :

La mise en œuvre d’un travail d’évaluation des impacts des tiers-lieux permet de mesurer objectivement ce que le lieu apporte au territoire (externalités en matière d’emploi, d’économie et de consommation locale, de démographie ou d’attractivité, …). L’analyse strictement comptable de ce type de dispositif ne permet pas d’en appréhender toute la richesse et amène bon nombre d’élus à renoncer alors même que le tiers-lieu peut-être une solution adaptée aux enjeux des territoires ruraux.

Ocalia et Terre d’avance interviennent actuellement auprès des ministères de l’économie et de la cohésion des territoires (DGE/CGET) dans le cadre d’une mission d’évaluation des impacts des Fab Lab sur leurs territoires d’implantation. Les conclusions de l’étude seront rendues publiques à l’automne.

 

Le 8 fablab, est de notre point de vue, un cas unique en France ; 600 m2, 7 salariés, Près de 300 K€ de chiffre d’affaire et des charges couvertes à 85% par les ressources issues de la vente des services (événements, ingénierie, coordination de projets, prototypage, coworking, formation, médiation numérique etc.). La productivité du 8, qui mixe coworking et FabLab, est remarquable au regard du caractère rural de son territoire d’implantation (Crest, 8 380 habitants).  En dépit de cette efficacité et de la notoriété apportée au territoire par le projet, les 15% de ressources qui restent à mobiliser pour équilibrer le budget ne sont pas faciles à trouver car ni la Commune de Crest, ni la Communauté de Communes du Crestois et du Pays de Saillans, pourtant sociétaires de la SCIC, ne semblent prêts à couvrir ces pertes, pourtant modestes au regard de l’ampleur du projet et de son rayonnement, à tel point que la structure a même songé à un moment donné à s’installer sur un autre territoire.

Hypothèse :

C’est sans aucun doute la conjonction de plusieurs éléments qui explique le succès du 8 fablab ; la préexistence d’un collectif d’entrepreneurs désireux de pousser l’innovation sur ce territoire, la très forte implication de quelques acteurs hyper motivés (Le dirigeant de la fonderie propriétaire des locaux, une agence de design, une élue qui s’est jetée à corp perdu dans le projet et qui en a ensuite pris la direction) et le recrutement éclairé des membres de l’équipe salariée. 

Le 8 FabLab a par ailleurs saisi l’opportunité d’un financement apporté en 2013 par le ministère du redressement productif (160 K€ sur 2 ans) pour démarrer.  Toutefois, c’est à l’issue de ces 2 premières années fortement aidées que le 8 FabLab est passé, par nécessité, à la vitesse supérieure en développant son offre à destination des entreprises.  L’absence de soutien des collectivités locales et les crises successives traversées par le 8 fablab auront sans doute cultivé sa grande capacité d’innovation et de résilience !

 

 

Au-delà de ces quelques hypothèses et en guise de conclusion, il nous semble important d’insister sur quelques éléments:

  • L’équilibre de ces structures restent précaires mais il convient de dépasser la seule analyse du compte d’exploitation (dans une certaine mesure bien sûr) pour appréhender l’ensemble des externalités possibles d’un tel projet pour le territoire (exemple de Murat) et en mesurer les impacts (logique de la mission lancée par la DGE et le CGET).
  • Privilégier les dynamiques ascendantes et ajuster le positionnement de la collectivité. La contribution de la commune ou de l’intercommunalité est souvent bienvenue voire nécessaire mais une trop forte implication de cette dernière risque de limiter le pouvoir d’agir des parties prenantes et entrainer leur désengagement.
  • La mutualisation des ressources (humaines, espaces, …) afin de limiter les charges et l’augmentation des ressources via la diversification des fonctions (exemple de l’atelier du Pilat) sont souvent clés pour trouver un modèle pérennes en milieu rural ou péri-urbain.