La place des gares évolue : de simple lieu de passage, elles entament un tournant serviciel et deviennent de potentiels hubs. Elles suivent en cela le nomadisme professionnel et la tendance de plus en plus affirmée de consommation commerciale « ambulante ». Les gares deviennent donc d’autant plus attractives qu’elles parviennent à attirer ces flux, parfois en très forte augmentation:
• En 20 ans, le nombre de passagers de la SNCB (la SNCF belge !) a presque doublé,
• La gare du Nord à Paris voit transiter 700 000 personnes par jour, dix fois plus que l’aéroport d’Orly (environ 80 000 personnes) et même bien davantage qu’un grand centre commercial (les Quatre Temps à la Défense accueillent de l’ordre de 125 000 visiteurs jour)
• Sur le Grand Genève, avec l’arrivée du Léman Express fin 2019, certaines gares des communes françaises vont voir le nombre de voyageurs être multiplié par 5 ou 6.
Par ailleurs, Les taux de concrétisation d’achat y sont plus élevés qu’ailleurs, de l’ordre de 70-80% contre 30% en centre-ville.
Forte de ces constats, la SNCF, par le biais de ses filiales, développe une offre variée. Retail et connexions est la filiale en charge de la gestion des espaces commerciaux en gare. A côté des surfaces commerciales classiquement présentes en gare (restauration, épicerie de dépannage, presse), d’autres services se déploient comme la fourniture de véhicules sans chauffeurs, de paniers maraichers ou encore d’espaces de coworking. Un appel à manifestation d’intérêt (AMI) concernant les tiers-lieux / coworking va prochainement être lancé début 2019 par la SNCF et Gare & Connexions.
Parallèlement (et paradoxalement ?), les superficies inoccupées en gare augmentent : la mise en place d’automates pour la vente de billets ou la disparition des appartements de fonction du chef de gare du fait de la gestion à distance du trafic sont des exemples d’évolutions qui obligent à se poser la question de l’affectation de ces espaces. Certains locaux sont désormais désaffectés, que ce soit des gares ou des entrepôts. Dans les grands centres urbains, ces friches et espaces délaissés sont souvent réinvestis : aménagement de l’ancienne gare St Sauveur ou du bâtiment de tri postal de Lille en pôles culturels, appel à projet pour réinvestir la gare Vaugirard à Paris en coworking…
Vu la multiplication des initiatives et leur succès, on est tenté de l’expérimenter en milieu rural. Ces territoires ne souffrent pas de la même pression foncière que les grands centres urbains, mais ont plus besoin de varier l’offre de service pour améliorer la qualité de vie à leurs habitants ! Même fermées ou sans desserte voyageurs de leurs quais, les gares sont toujours des repères qui structurent le territoire. Ancrés dans l’imaginaire collectif, ces lieux de patrimoine sont bien identifiés par les habitants et ils jouissent encore généralement d’un bon maillage intermodal : des bus s’y arrêtent, vous pouvez vous y rendre à vélo, y stationner votre véhicule… L’accès au numérique y est également facilité, la fibre courant souvent le long des voies. La gare et son quartier constituent souvent un atout pour une commune rurale désireuse de questionner l’aménagement de son territoire.
Si nombre de ces gares rurales ont déjà été réaffectées à des usages plutôt privés tels du logement ou des bureaux, de plus en plus de projets de nature collective émergent autour des gares de campagne, misant sur leur potentiel de développement et sur les services au public qu’elles peuvent offrir. Dans un appel à projets “Open Gare” en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes (http://alpc.opengare.com/), la SNCF et Gare & Connexions souhaitaient en 2016 déployer des tiers-lieux dans les locaux vacants de 33 gares pour en faire des catalyseurs d’innovation sociale, de développement collaboratif et de services du quotidien en privilégiant constamment une mixité des usages et des activités… Le ton est donné même si les résultats concrets sont pour le moment limités : un seul projet s’est concrètement implanté et en milieu urbain, en Gare de Biarritz !
Cette difficulté à faire atterrir les projets, montre le complexité de trouver un modèle économique équilibré, particulièrement en zone peu dense, par ailleurs, dans un contexte où les injonctions sont parfois paradoxales : d’un côté, ainsi que le démontre le futur AMI, la volonté de trouver de nouvelles fonctions à ces gares pour limiter la vacance, de l’autre, des objectifs de rentabilité immobilière entrainant des loyers trop importants, particulièrement dans les phases toujours aléatoires de démarrage des projets.
Cependant des projets naissent ou sont en cours de réflexion. Ainsi, la gare de Jeumont était devenue surdimensionnée pour ses activités ferroviaires au fil du temps : les activités transfrontalières dans la vallée de la Sambre jusque dans les années 60 se sont taries, laissant un édifice de 150m de long désaffecté. La Gare Numérique est venue réoccuper cet espace (https://agglo-maubeugevaldesambre.fr/la-gare-numerique/). Cette plateforme d’art et technologie numérique a été lancée en amont de Mons capitale européenne de la culture. Une extension pour le plateau de tournage a été créée à son extrémité, le reste du bâtiment a été remanié en conservant la salle des pas perdus et le hall des douanes, qui abritent aujourd’hui respectivement le bar et salle d’exposition, surplombé par un auditorium de 200 places, et le conservatoire de musique ainsi que 6 petits studios d’enregistrement. Sur 4000m², le lieu propose aujourd’hui une offre de création et de diffusion audiovisuelles tournée vers les nouvelles technologies : concerts, ateliers de formation (langage web, design et robotique à partir de 12 ans, fablab), expositions, cinéma, atelier de design culinaire…une programmation variée pour tous !
Un projet similaire est porté par la COVE (l’agglo de Carpentras) sur l’ancienne gare. En Belgique, à Poix Saint-Hubert, sur la ligne de train Bruxelles-Luxembourg dans les Ardennes belges, l’hôtel du Val de Poix (les Gamines) qui fait face à la gare intègre un espace de coworking (www.gare.space). Une réflexion est actuellement en cours pour développer un hub culturel dans l’ancien bâtiment ferroviaire désormais inoccupé.
D’autres projets sont à l’étude dans de nombreux endroits, et notamment sur les périmètres péri-urbains où l’on recherche des alternatives aux déplacements domicile-travail quotidiens. C’est le cas notamment du projet que nous accompagnons sur le Grand Genève depuis plusieurs années (www.teletravail-geneve.com). Le Pôle métropolitain du genevois français (partie française et péri-urbaine de l’agglomération du Grand Genève), très concerné par les problématiques de mobilité qui pourraient limiter son développement à terme, a engagé un vaste plan mobilité comprenant de nombreuses mesures relativement classiques (Leman express, covoiturage, modes doux, .. .) combinées à d‘autres solutions plus originales comment le développement du télétravail et la création d’un réseau maillé de lieux de travail partagés connectés aux axes de transport via les gares.
La tentation est grande de conclure que toutes les gares pourraient- voire devraient ! – devenir des lieux de régénération des territoires. Tirons ici les leçons du passé : l’implantation des gares TGV exurbanisées en France n’a pas toujours eu l’effet d’entrainement escompté sur l’économie et le tourisme local. Ainsi, toutes les gares ne se prêtent pas à ce type de projet ! L’intégration de la gare dans le fonctionnement du territoire doit ainsi être pris en compte, de même que le maillage des services que le lieu propose d’apporter aux besoins des habitants et acteurs du territoire (associations, entreprises…). Et comme pour tout projet de développement territorial et surtout de tiers-lieu, la mobilisation d’une communauté atteignant la « masse critique » est nécessaire pour garantir l’attractivité du lieu et surtout sa pérennité. Les partenaires publics peuvent aussi jouer un rôle d’amorceur en soutenant ces projets qui peuvent avoir des impacts directs mais aussi indirects et induits très forts pour le territoire.